Visitez la Guyane avec nous...

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3) Extraits de "Papillon" en images (octobre 2007)

NEUVIEME CAHIER

SAINT-JOSEPH

A pied, encadrés, on nous fait monter le chemin qui va à la Réclusion. Aucun forçat sur notre parcours.

      

En entrant par la grande porte en fer, on comprend tout de suite le sérieux de cette maison de force.

Cette porte et les hauts murs qui l'entourent cachent d'abord un petit bâtiment, et trois autres bâtiments, A, B, C.

 

On nous fait pénétrer dans le bâtiment Direction. Une salle froide.

Les dix-neuf alignés sur deux rangs, le commandant de la Réclusion nous dit :

 - Réclusionnaires, cette maison est, vous le savez, une maison de châtiment pour les délits commis par des hommes déjà condamnés au bagne. On n'essaye pas, ici, de vous corriger. Nous savons que c'est inutile. Mais on essaye de vous mater. Ici, un seul règlement : fermer sa gueule. Silence absolu. Téléphoner, c'est risqué, si vous êtes pris, une punition très dure. Si vous n'êtes pas gravement malade, ne vous faites pas inscrire à la visite. Car une visite injustifiée entraîne une punition. C'est tout ce que j'ai à vous dire. Ah! il est strictement défendu de fumer. Allez, surveillants, fouillez-les à fond, et chacun dans une cellule.

     

Charrière, Clousiot et Maturette ne doivent pas être dans le même bâtiment.

Dix minutes après, je suis enfermé dans ma cellule, la 234 du bâtiment A.

Clousiot est au B et Maturette au C.

 

J'examine la cellule où l'on m'a fait entrer. Jamais je n'aurais pu supposer, ni imaginer, qu'un pays comme le mien, la France, mère de la liberté dans le monde entier, terre qui a accouché des Droits de l'homme et du citoyen, puisse avoir, même en Guyane française, sur une île perdue dans l'Atlantique, grande comme un mouchoir de poche, une installation aussi barbarement répressive que la Réclusion de Saint-Joseph.

Figurez-vous cent cinquante cellules les unes à côté des autres, chacune appuyée à une autre cellule, dos à dos, leurs quatre murs très épais percés seulement d'une petite porte en fer.

A gauche, un bat-flanc avec un oreiller en bois : le bat-flanc se relève et s'accroche au mur ; une couverture ; une balayette ; un quart de soldat, une cuillère en bois.

  

Trois mètres de haut.

Comme plafond, des énormes barreaux de fer, épais comme un rail de tramway.

Puis, plus haut, le vrai toit du bâtiment, à peu près à sept mètres du sol.

Passant au-dessus des cellules, les surplombant, un chemin de ronde d'un mètre de large à peu près, avec une rampe de fer.

   

Jusqu'à la passerelle, un jour assez clair arrive.

Mais au fond de la cellule, même en plein jour, on y voit à peine.

Le gaffe vient de passer devant mon toit. Je ne l'ai pas entendu venir, je l'ai vu.

Il faut que je m'habitue à cette cage ouverte par le toit.

Oui, vraiment, Papi, c'est pas de la rigolade cette "mangeuse d'hommes". Et cela fait un drôle d'effet quand l'ombre du gaffe se projette sur le mur.

Cher monsieur Papillon, vous avez dix-sept mille cinq cent vingt heures à tuer dans cette cage spécialement fabriquée, avec ses murs lisses, pour bêtes fauves.

Qui peut bien être à ma droite ! et à ma gauche ? et derrière moi ? Ces trois hommes, si les cellules sont occupées, doivent, eux aussi, se demander qui vient d'entrer dans la   234 ?

         

Un bruit mat d'une chose qui vient de tomber derrière moi, dans ma cellule. Qu'est-ce que cela peut bien être ? Mon voisin, aurait-il eu l'habileté de me jeter par la grille quelque chose ? Au moment où je vais la ramasser, la chose se met à bouger et rapidement va vers le mur. Je la laisse tenter trois fois la montée le long du mur puis, à la quatrième, quand elle retombe, je l'écrase d'un coup de pied. Je la regarde le plus près possible en me mettant à genoux et, enfin, j'arrive à distinguer : c'est un énorme mille-pattes. J'aurai le temps d'en voir des mille-pattes ; ils tombent du grand toit là-haut.

          

Combien se suicident ? Je ne vois pas comment on pourrait se suicider. Si, c'est possible. Ce n'est pas facile, mais on peut se pendre. On fabrique avec son pantalon une corde. En attachant la balayette à un bout et en montant sur le bat-flanc on doit pouvoir passer la corde à travers un barreau. Si tu fais cette opération au ras du mur du chemin de ronde, il est probable que le gaffe ne voit pas la corde.

          

Je discerne un murmure dans la nuit, le changement de garde. Le premier était un grand sec, celui-ci est petit et gros. Il traîne ses chaussons. Leur frottement se perçoit deux cellules avant et deux cellules après.

La fatigue aidant, je m'envole facilement pour aller fouiller la passé. Par contraste, sûrement, avec l'obscurité de la cellule, je suis en plein soleil, assis sur la plage de ma tribu.

 

Je ne suis plus en cellule.


Clac, clac, clac, clac - on ouvre tous les guichets. Je m'approche du mien, risque un coup d'oeil, et puis je sors un peu la tête, et puis toute la tête dans le couloir, et je vois à droite et à gauche une multitude de têtes.

                  

Le café, suivi de la boule de pain, arrive. En moins d'un quart d'heure le silence est revenu.

On balaie dans le couloir, je trouve qu'on balaie bien longtemps devant ma cellule. Je comprends vite qu'on m'a glissé quelque chose sous la porte, mais qu'on n'a pu l'enfoncer mieux. On attend que je le retire avant d'aller balayer plus loin.

      

Je tire le papier. J'attends que le gaffe passe et vite je lis :

"Papi, tous les jours dans la tinette à partir de demain il y aura cinq cigarettes et un coco. Ignace-Louis."

[...] Ni vous, policiers à l'honnêteté douteuse, ni les gaffes de la Réclusion, dignes associés de la "mangeuse d'hommes", personne, absolument personne, pas même les murs épais, rien, absolument rien n'empêchera mes voyages délicieusement teintés du rose de la félicité quand je m'envole dans les étoiles.

Encore dix jours et j'aurai accompli juste la moitié de ma peine de réclusion. C'est vraiment un bel anniversaire à fêter.

Le jour de l'anniversaire est arrivé. Aussi, je me suis promis de ne pas m'envoler ailleurs. Je suis à la Réclusion.

J'attaque le lendemain le premier jour de ces trois cent soixante-cinq qui me restent à faire. Ce matin, au moment de la vidange de la tinette, le porteur de coco a été pris la main dans le sac au moment où il repoussait la tinette, alors qu'il avait déjà déposé dedans le coco et les cinq cigarettes. Mon guichet s'ouvre et une tête de gardien congestionné me crie : "Toi, tu ne perds rien pour attendre!"

Je sors et, entouré de six surveillants et du deuxième commandant, nous faisons toute la longueur du couloir.

     

Arrivé dans la cour, la tête me tourne et mes yeux blessés par la lumière ne peuvent pas rester ouverts.

     

Sans me pousser, on me fait entrer dans la salle "Administration".

- Tu as mangé de trop pendant longtemps, eh bien, tu vas maigrir un peu. Suppression du repas du soir jusqu'à fin de sa peine.

Je me couche très tôt et, assez vite, je m'évade virtuellement de ma cellule.

Encore trente jours, soit sept cent vingt heures, et puis la porte s'ouvrira et l'on me dira : "Réclusionnaire Charrière, sortez. Vous avez terminé vos deux ans de réclusion."

        

Je suis en train de me promener à Trinidad, les violons à une corde des Javanais me bercent de leurs plaintives mélodies quand un cri horrible, inhumain, me ramène à la réalité. Ce cri vient d'une cellule derrière la mienne ou presque, très près. J'entends :

- Salopart, descends ici dans ma fosse. Tu n'es pas fatigué de me surveiller d'en haut ? Tu ne vois pas que tu perds la moitié du spectacle à cause du peu de lumière dans ce trou ?

Quelques instants après, la porte s'ouvre et j'entends :

- Non, pas comme ça! Mettez-la-lui à l'envers, c'est beaucoup plus efficace!"

La porte s'est refermée. Cette scène a dû émouvoir le jeune garde car, au bout de quelques minutes, il s'arrête devant ma cellule et dit : "Il doit être devenu fou."

      

Cet incident m'a coupé de l'île aux braves gens, des violons, des nichons des Hindoues, du port de Port of Spain, pour me remettre dans la triste réalité de la Réclusion.

Je crois que je me sens plus fort à cause d'une comparaison qui s'impose à moi : je suis à deux cent quarante heures de la libération de la Réclusion, je suis faible mais mon cerveau est intact. Tandis que là, derrière moi, à deux mètres, séparé par le mur, un pauvre mec entre dans la première phase de la folie.

           

Allons, j'y arrive à la fin et j'espère être bien sous tous les rapports avant six mois, santé, moral, énergie, en bonne position pour une cavale spectaculaire. On a parlé de la première, la deuxième sera gravée sur les pierres d'un des murs du bagne.

C'est la dernière nuit que je passe à la Réclusion. Il y a dix-sept mille cinq cent huit heures que je suis entré dans la cellule 234.

On a ouvert une fois ma porte, pour me conduire devant le commandant afin qu'il me punisse.

     

Je m'endors tranquillement sans penser à autre chose que : demain on va ouvrir définitivement cette porte.

          

Demain, je verrai le soleil.

Je sors. En arrivant devant le pavillon "Administration", je vois Maturette et Clousiot. Mais le commandant arrive :

- Faites-les entrer.

On sort du bureau. La porte de la Réclusion s'ouvre pour nous laisser passer.

Escortés par un seul surveillant, nous descendons lentement le chemin qui va au camp.

Je demande au surveillant la permission de m'asseoir quelques minutes. Il dit oui. On s'assied, l'un à droite et l'autre à gauche de Clousiot et l'on se prend les mains, sans même s'en apercevoir. Le surveillant dit :

- Allez, les gars. Il faut descendre.

[...] Lentement, je remonte du quai au camp.

Quand j'arrive à la porte, on me fouille.

On ouvre la porte et je rentre dans la salle. Grandet me tire par la manche. La salle n'est pas trop bruyante. On sent que quelque chose de grave va se passer, ou s'est passé.

- Je n'ai plus ma sacaille (couteau). Ils me l'ont pris à la fouille.                            

- Tu n'en auras pas besoin cette nuit.

 

- Pourquoi ?

- L'Arménien et son ami sont dans les cabinets.

- Qu'est-ce qu'ils font là-bas ?

- Ils sont morts.

- Qui les a refroidis ?

- Moi.

- Ca a été vite fait. Et les autres ?

- Il en reste quatre de leur gourbi. Paulo m'a donné sa parole d'homme qu'ils n'allaient pas bouger et qu'ils t'attendraient pour savoir si tu étais d'accord que l'affaire s'arrête là.

- Donne-moi un couteau.

- Tiens, voilà le mien. Je reste dans ce coin, va parler avec eux.

FIN



26/11/2007
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